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Philippe, d’Amay, est éducateur dans l’enseignement. Cela fait 36 ans et la pension arrive à grands pas… ou plutôt c’est ce qu’il croyait. En effet, il espérait pouvoir prendre ses DPPR (Disponibilité Précédent la Pension de Retraite), un régime spécifique à l’enseignement qui permet aux enseignants dès 55 ans de réduire leur charge horaire, voire d’arrêter complètement de travailler à 58 ans.
Mais mauvaise surprise : « Jusqu’il y a 3 mois, si j’avais introduit un dossier pour prendre mes DPPR, je terminais ma carrière le 1er décembre 2026. Mais désormais je ne peux plus les calculer et donc terminer au 1er décembre 2030. Quatre ans de plus que les collègues du même âge que moi et même ancienneté qui eux, pourront partir à la pension à 60 ans. C’est du foutage de gueule », nous dénonce-t-il via notre bouton orange Alertez-nous.
Je suis en difficulté par rapport à l’an prochain et mon école aussi
Pour Christophe, de Nivelles, même constat. « Enseignant depuis 1987, en septembre 2025 j’aurai 62 ans et j’ai introduit une demande de DPPR en octobre 2024 afin que ce dispositif soit activé en septembre 2025, dans 3 mois donc. À ce jour, pas la moindre réponse… »
Des conséquences concrètes pour des centaines de travailleurs. « J’occupe un poste apparenté à une direction d’école et la procédure à mettre en place afin de pourvoir à mon remplacement prend du temps. Je suis en difficulté par rapport à l’an prochain et mon école est en difficulté quant à une éventuelle procédure de recrutement. »
La faute au gouvernement fédéral
Le problème est d’ordre politique et administratif. Si le gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles n’a pas changé les règles, le gouvernement fédéral, lui, veut réformer le système. Il s’agit seulement d’une intention à ce stade, car cela n’a pas encore été traduit en texte de loi, ce qui peut prendre de longs mois, voire années.
Mais au lieu d’attendre l’entrée en vigueur de cette nouvelle loi pour l’appliquer, le SPF Pensions a décidé d’arrêter de livrer à l’administration de la Fédération Wallonie-Bruxelles les dates présumées de début de retraite des enseignants concernés, dites dates P. Sans ça, impossible d’approuver les demandes de DPPR, qui sont dès lors gelées.
Le SFP dit avoir pris cette mesure provisoire dans l’attente d’y voir plus clair dans les intentions du nouveau gouvernement fédéral concernant l’assimilation des périodes de fins de carrière dans le calcul des pensions. Ce sont ainsi plusieurs centaines d’enseignants et donc d’établissements qui sont aujourd’hui dans l’inconnue.
Deux syndicats font appel à la justice…
Pour débloquer la situation, les syndicats APPEL et SLFP Enseignement ont mandaté le 22 avril dernier leurs services juridiques. « Constatant qu’il existe bel et bien en l’état actuel une législation qui permet d’établir la date P des membres du personnel ; que l’absence de communication de la date P repose sur la seule décision du ministre des Pensions (Jan Jambon, NDLR), fondée sur un hypothétique changement à venir ; que des membres du personnel pourront entrer en DPPR en septembre prochain quand d’autres membres du personnel, réunissant pourtant les mêmes conditions que leurs collègues, ne le pourront pas ; l’APPEL et le SLFP Enseignement ont décidé de charger leur service juridique d’intenter les actions nécessaires pour protéger les droits de leurs affiliés lésés et pour mettre fin à la discrimination dont ils sont victimes », écrivaient-ils dans un communiqué commun.
Ceux-ci ont adressé une mise en demeure à l’administration fin avril. Puisqu’il n’y a pas eu de dénouement rapide depuis lors de la part du fédéral, « l’huissier va procéder cette semaine à la signification de notre citation et donc l’affaire devrait échoir au tribunal de Première instance francophone de Bruxelles », explique Jean-Claude Lemaître, le secrétaire général du syndicat APPEL.
… et obtiennent un assouplissement
Du côté politique et administration, un assouplissement vient d’être accordé par le SPF Pensions, mais il ne concerne que les enseignants les plus proches de la pension. « Le service des pensions a repris cette semaine la communication des dates P pour 2026 et 2027. Les demandes de DPPR rentrant dans ces conditions seront donc traitées par la Fédération Wallonie-Bruxelles. Le rythme de traitements des dossiers semble s’accélérer », ajoute Masanka Tshimanga, la présidente communautaire du SLFP Enseignement.
Pour les autres dont la date P est postérieure à 2027, Jean-Claude Lemaître garde bon espoir que cela aboutisse en justice avec, sur le fond, la question de la discrimination de traitement entre deux travailleurs aux carrières identiques, ainsi que l’application anticipée par le ministère des Pensions d’une loi qui n’existe pas encore. À moins que cette loi réformant le système ne soit votée avant, ce qui pourrait intervenir fin de cette année selon certaines sources.